Thomas Husson est Vice Président Principal Analyst chez Forrester, LA référence en matière de décryptage des tendances actuelles et futures, tant en matière de consommation que d’innovations technologiques. Suite à son intervention au dernier CX Circle, j’ai voulu revenir sur sa vision du futur de l’expérience digitale…

Geoffrey : Face aux crises économiques, politiques et sociales, que peut-on attendre du retail en 2024 ?

Thomas Husson : L’avenir n’est pas seulement incertain mais également assez sombre. Par exemple cette année, un tiers des foyers français ont baissé leur consommation alimentaire en volume. On constate depuis 2022 que les crises ne se succèdent pas mais se nourrissent les unes des autres : le Covid, la crise de l’énergie, la crise climatique, la crise en Ukraine et plus récemment au Proche-Orient, … Mais plutôt que se demander à quelle sauce on va être mangé en 2024, ne pourrait-on pas plutôt essayer d’anticiper les évolutions de la consommation et d’explorer de nouvelles voies ? Et pour cela, nous avons besoin de la data.

Les consommateurs aujourd’hui cherchent à maximiser la valeur économique, c’est la priorité numéro 1 pour les français, et ce, même pour les foyers les plus aisés. Certes, les préoccupations liées à l’environnement vont certainement créer plus de polarisation dans les choix de consommation. Mais on observe avant tout un certain essor des marques low cost, une recherche des prix bas, des bons plans, du paiement échelonné, des promotions, … Pour les marques premium, cela implique une nécessaire innovation, l’amélioration des stratégies de marketing, de communication et d’expérience client pour justifier une surprime pour la marque. Et c’est le cas tant en physique que sur le digital.

En parlant de digital, comment l’expérience en ligne va-t-elle évoluer en 2024 ? 

À fin 2024, le digital représentera 15 % des ventes retail (hors voyage), ce qui nous laisse une belle marge de progression par rapport à nos voisins les anglais, pour qui le digital atteindra 28 %. L’ensemble des parcours client, avant et après achat, sont impactés par le digital. Et avec un trafic global et un taux de conversion stable, l’amélioration de l’expérience client est une priorité pour les décisionnaires – même si la croissance des revenus demeure LA priorité numéro 1. L’enjeu est d’améliorer la perception émotionnelle de la marque, notamment sur les canaux digitaux.

Ce n’est pas nouveau, mais on constate que la transformation par l’expérience client est relativement lente. Seules 6 % des entreprises ont atteint un stade de maturité qu’on qualifie d’ « obsession client » (le double par rapport à l’année dernière) avec une majorité des entreprises qui se situent dans la moyenne. La bonne nouvelle c’est que la perception de l’expérience client, qu’on mesure par un baromètre, le CX index, devrait s’améliorer l’année prochaine pour la première fois depuis 2021, en particulier grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle générative, qui devrait permettre aux services clients de répondre de manière plus rapide aux consommateurs finaux.

 

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Quelles avancées peut-on attendre des marques vis-à-vis de l’IA ?

On en est convaincu chez Forrester, l’intelligence artificielle représente la plus grande rupture technologique depuis l’avènement d’internet et du mobile.  L’IA générative va notamment permettre de rendre les marques conversationnelles et de mieux personnaliser l’expérience client avec des réponses plus rapides et des contenus plus pertinents. Pour les équipes marketing ou expérience client, c’est un moyen d’améliorer la productivité et un catalyseur de l’innovation et de la créativité. Il faut se préparer à l’idée que l’IA va progressivement remettre en cause la notion même de parcours client.

Évidemment, la technologie n’est pas neutre, et l’intelligence artificielle soulève de nombreux questionnements sur les dangers potentiels. Ça fait un certain temps qu’on parle d’IA, mais avec le lancement de ChatGPT et des LLM il y a un an, il y a eu un shift : la machine a craqué le langage humain. Cette innovation va nous permettre de passer du code informatique au langage humain et inversement, ce qui va avoir des implications énormes sur l’expérience client. Le consommateur va s’attendre de plus en plus à vivre des expériences invisibles, grâce à l’anticipation en contexte de ses besoins et la production par l’intelligence artificielle de contenus émotionnels, empathiques et en temps réel.

On n’y est pas encore, ChatGPT produit encore un certain nombre de « non-sens cohérents ». C’est ce qui explique qu’environ 3 utilisateurs sur 4 vérifient les réponses de ChatGPT sur Google quand ils ont un doute. Pour autant, si les cas d’usage de l’IA générative étaient majoritairement tournés sur l’interne en 2023 (amélioration de la productivité des équipes, production de davantage de contenus, aide à la créativité, …), en 2024, les marques et en particuliers les grands groupes internationaux vont expérimenter et lancer des solutions s’appuyant sur l’IA à destination du grand public. Outre les « non-sens cohérents », il faudra encore lever un certain nombre de freins autour des biais éthiques et du respect de la vie privée pour parvenir à un passage à l’échelle. Sans compter la nécessaire montée en compétence pour utiliser cette IA et développer le « robotics quotient » des équipes et des managers.