La récente crise sanitaire a contraint les entreprises à repenser leurs stratégies de marketing digital et de eCommerce. Pour se démarquer, elles doivent désormais rivaliser d’imagination pour adapter leurs canaux de vente, analyser leurs données clients et évaluer l’expérience utilisateur en ligne. David Sadigh, CEO et fondateur de DLG, et Jean-Marc Bellaiche, Chief Strategy Officer de Contentsquare, nous livrent les meilleures stratégies d’adaptation à cette « nouvelle normalité ».
Sans conteste, l’épidémie mondiale de Covid-19 a touché de plein fouet un grand nombre de secteurs. Sans exception, l’industrie du Luxe en a également fait les frais et l’impact de cette crise est d’ores et déjà dramatique pour ce secteur. Les ventes ont chuté de 25 % au premier trimestre 2020, d’après le cabinet de conseil Bain and Company, et un repli de 20 à 35 % est estimé sur toute l’année.
Toutes les certitudes et les habitudes ont donc volé en éclats, et face à l’évolution des comportements d’achat vers le online, les marques ont été naturellement contraintes de repenser leurs stratégies de marketing digital pour s’adapter.
Mais si l’industrie du Luxe n’a pas été épargnée par ces changements majeurs, ils sont aussi sources d’opportunités. Si certaines marques ont choisi la prudence et attendent de voir comment évolue la situation, d’autres expérimentent déjà de nouvelles stratégies digitales.
En effet, beaucoup d’entreprises et de marques ont choisi de se concentrer sur leurs campagnes digitales, afin de booster leur chiffre d’affaires et de toucher leurs consommateurs en ligne. Elles proposent plus de personnalisation, davantage de transparence sur leurs valeurs de marque, et recrutent des data analysts et des spécialistes UX pour se démarquer en ligne.
Une stratégie qui s’avère payante, car la capacité de rebond de l’industrie du Luxe est sans appel. D’après le sondage d'Opinionway et Cofidis, si 69 % des achats seulement sont faits en magasin aujourd’hui (-8 points par rapport à début 2020), les ventes en ligne représentent 47 % du marché, soit une progression notable de 9 points.
Nous avons discuté avec David Sadigh, CEO et fondateur de DLG (Digital Luxury Group), et Jean-Marc Bellaiche, Chief Strategy Officer de Contentsquare, sur les meilleurs moyens d’adapter sa stratégie de marketing digital pour répondre à ces nouveaux comportements de consommation.
SOMMAIRE
S’adapter pour survivre
Récemment, l’industrie du Luxe a entamé donc sa révolution
digitale, et il semblerait que ce soit pour de bon.Certaines marques, ayant initialement peu investi en marketing digital, ont adopté une démarche proactive afin d’étoffer leur présence en ligne et de doper leur taux de conversion."Nous avons constaté l’émergence de nouveaux comportements ", affirme Jean-Marc Bellaiche, qui supervise la stratégie de Contentsquare.
"Le digital était déjà important avant la pandémie. Mais aujourd’hui, c’est devenu la priorité numéro un pour les marques. Toutes cherchent le moyen d’étendre leur présence en ligne et de faire grimper leur taux de conversion."Jean-Marc Bellaiche, Chief Strategy Officer de Contentsquare
« Certains secteurs ont profité de cette période particulière pour affiner leur stratégie digitale. Tout s’est accéléré : certaines améliorations eCommerce, qui prenaient généralement deux à trois ans, ont été effectuées en à peine deux à trois mois », note Jean-Marc Bellaiche. Et les changements entrepris par les marques en début d’année sont nombreux : optimisation du checkout, mise à niveau des outils d’assistance clientèle, réduction des partenaires de vente…
Un point de vue partagé par David Sadigh, CEO et fondateur de DLG. « Beaucoup de marques ont testé de nouvelles choses et continueront à le faire, car pour survivre, elles n’auront pas le choix », affirme-t-il. Selon lui, les exemples de cette capacité d’adaptation ne manquent pas dans le secteur du Luxe.
« Certaines entreprises de Luxe, perdues en matière de communication, ont décidé de garder le silence. D’autres ont choisi de rebondir et de profiter de cette opportunité pour développer leur stratégie d’eCommerce en investissant dans une stratégie plus omnicanale. Enfin, par défaut, les marques qui disposaient déjà de sites d’eCommerce ont bénéficié d’un effet de migration : les clients retail ou offline sont devenus des clients online. »
De nouveaux canaux de communication et de ventes
Pour adapter leurs activités en ligne, les entreprises de Luxe ont tablé, entre autres, sur de nouveaux canaux de vente, tels que WhatsApp et Zoom, afin de proposer des transactions plus personnalisées, notent David Sadigh et Jean-Marc Bellaiche. « Un grand nombre de nos clients, surtout dans l’horlogerie de Luxe, la haute joaillerie et l’automobile de Luxe, utilisent WhatsApp pour leurs transactions avec leurs clients », affirme David Sadigh. « Si le client connaît déjà la voiture qu’il souhaite acquérir, il lui suffit de la demander au vendeur. WhatsApp et Zoom se rapprochent des services proposés en Chine par WeChat. Ces tendances ont un impact sur les entreprises américaines telles que Facebook, qui doivent impérativement intégrer ces nouveaux services. Il ne serait pas étonnant que Facebook lance une nouvelle version de sa plateforme, dotée de vidéo et de services de transaction. » Une tendance confirmée par Jean-Marc Bellaiche. « Les vendeurs des boutiques de Luxe ont appelé leurs clients pour leur présenter une nouvelle collection ou de nouveaux articles. Certains les ont également fait livrer au domicile de leurs clients. Neiman Marcus dispose d’une application mobile qui permet au client de communiquer avec son personal shopper sur ses achats pendant la crise. » « Les entreprises continueront d’utiliser ces nouveaux canaux de vente, qui sont intéressants pour les marques de Luxe, car ils permettent d’offrir un service personnalisé », ajoute-t-il. En terme de communication, les marques de Luxe se sont montrées innovantes et à l’écoute, à l’instar de la maison Chanel qui a organisé un concert sur instagram avec la chanteuse Angèle, ou de la marque Jacquemus, qui pour le lancement de sa nouvelle collection a demandé au top model Bella Hadid de prendre des photos chez elle lorsqu’elle portait les pièces de la collection. Des actions qui contribuent fortement à l’image de marques et qui exploitent de nouveaux canaux. D’autant plus que les acheteurs sont connectés : 74 % sont présents sur les réseaux sociaux, 32 % suivent des marques de Luxe et des influenceurs sur ces réseaux sociaux, 70 % d’entre eux déclarent même être influencés dans leurs achats par des comptes influants.
De nouvelles perspectives grâce à la data
Autre enjeu essentiel pour les marques de Luxe, et non des moindres : savoir comment utiliser efficacement l’ensemble des data dont elles disposent. Et donc, trouver les meilleures solutions et les outils les plus pertinents pour améliorer leurs résultats, surtout du point de vue de l’expérience utilisateur. Ainsi, une marque doit réussir à cerner pourquoi certains utilisateurs consultent son site, en parcourent le contenu, ajoutent des articles à leur panier, sans finaliser l’achat. Il est tout aussi important de comprendre ce qui amène les utilisateurs sur un site. Beaucoup d’entre eux consultent le site d’une marque pour obtenir des informations sur un produit, avant d’aller acheter l’article en question sur le site d’un distributeur. C’est en comprenant les tenants et les aboutissants de ses données clients qu’une marque pourra optimiser l’expérience digitale proposée à ses utilisateurs, et ainsi stimuler ses ventes. Pendant le confinement, les entreprises dotées d’une forte présence en ligne et d’une vaste offre eCommerce ont enregistré une montée en flèche de leur trafic et de leurs transactions, principalement grâce à leurs business models déjà bien implantés. C’est notamment le cas de Farfetch qui a constaté +48 % de nouveaux clients et dont les revenus ont bondi de 74 % au second trimestre 2020 ! De plus, celles qui avaient déjà adopté une stratégie Click and Mortar ont elles aussi moins souffert de la crise, car elles ont pu transférer leurs parts de marché de l’offline à l’online. Autant d’exemples qui illustrent l’importance d’exploiter ses données clients pour mieux cerner leurs attentes et sortir gagnants de la crise.
Valeurs de marque : l’heure de transparence
Beaucoup de marques ont profité du changement de rythme dans le secteur de la mode et du luxe pour redéfinir leurs valeurs, prendre le temps d’investir et de lancer les projets sociaux et de développement durable qu’elles souhaitaient entreprendre.
D’après une étude récente publiée en juillet par le cabinet de conseil McKinsey, les consommateurs attendent que l’industrie Fashion assume davantage ses responsabilités sociales et environnementales au cours de la crise. Pour 67 % des personnes interrogées, l’utilisation de matières durables est un critère d’achat important, et 63 % jugent tout aussi essentiel qu’une marque fasse la promotion du développement durable.
Autre conclusion de l’étude, si 70 % des personnes interrogées sont restées fidèles aux marques qu’elles connaissent et en lesquelles elles ont eu confiance pendant la crise, les jeunes consommateurs (notamment la génération Z et les Millennials) sont plus enclins à tester des marques de plus petite envergure, moins connues.
« Il sera intéressant de suivre ces initiatives de développement durable à moyen et long terme, car nous savons qu’aujourd’hui, les clients sont plus attentifs à l’origine des produits et au type de structure qui les propose », précise David Sadigh. « De plus, il serait également pertinent de savoir si les marques qui soutiennent le mouvement Black lives matter, par exemple, resteront aussi impliquées à moyen et long terme. »
Pour les marques, une chose est sûre : il ne suffit plus de faire preuve d’un intérêt éphémère pour un sujet qui intéresse fortement les consommateurs et les clients potentiels. Elles doivent réellement prendre le temps d’écouter, d’apprendre et d’investir dans les enjeux qu’elles souhaitent défendre, dans un objectif de transparence et d’ouverture vis-à-vis de leurs audiences. Leur sincérité vis-à-vis de ces sujets est devenu absolument essentiel.
Une culture d’entreprise repensée
Pour Jean-Marc Bellaiche, le meilleur moyen, pour une marque de Luxe, d’amorcer un réel changement au sein de son entreprise, consiste à transformer sa culture et la faire évoluer au profit d’une culture plus innovante, agile et collaborative. En cela, la notion « essayer, échouer, apprendre » est un exemple à suivre. Regardons Amazon, qui s’est essayé aux téléphones portables et a échoué, mais l’entreprise a su tirer les leçons de cette expérience pour réussir le lancement d’Alexa et de Prime TV.
"Les entreprises doivent faire preuve d’agilité ", confirme David Sadigh. Et celles qui disposent d’une supply chain parfaitement huilée, d’une solide connaissance client et data semblent les mieux placées pour relever les défis de cette nouvelle ère.
David Sadigh, CEO et fondateur de DLG
David Sadigh cite l’exemple de Moncler. L’entreprise a adopté une démarche « digital first » au sein de son organisation en gérant directement son commerce en ligne, in-house.
Moncler a donné la priorité à la connexion en mettant en place des solutions pionnières pour faire évoluer sa culture d’entreprise : programme « Energy Plan » qui invite les équipes à se retrouver au moins une fois par jour, compte Instagram privé @Monclertogether réservé au personnel, servant à organiser différentes activités pour les collaborateurs…
La culture peut même être au-dessus de la stratégie, conclut Jean-Marc Bellaiche. « L’un des enseignements les plus importants de ma carrière de consultant et de dirigeant est une citation de Peter Drucker (professeur à Harvard) : " La culture mange la stratégie au petit-déjeuner "… La culture d’entreprise est plus importante que la stratégie elle-même, car elle détermine votre capacité à réagir pendant les périodes fastes ou en cas de coup dur. Les entreprises de luxe doivent donc se mettre en quête de nouveaux talents, notamment issus de start-up, capables d’innover, de collaborer et de réagir vite. »
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Limei Hoang is a Digital Editorial Manager at Digital Luxury Group (DLG) and an Editor at Luxury Society, the editorial division of DLG.